Saint-Louis (Haut-Rhin)
42.195 km | 810m D+
4h05’49” de déplacement
Il y a plus de 15 ans, mon avenir familial et professionnel s’étaient synchronisés ici.
Depuis, ma flasque d’insouciance s’est percée, les rides se creusent telles les courbes de niveau sur une carte à explorer.
A la veille d’une nouvelle donne, je me lance sur une boucle inédite de 42km195 dans le sens inverse des aiguilles d’une montre suisse. Comme pour remonter le temps.
Pourquoi cette distance correspondant à celle reliant jadis le château royal de Windsor au stade de White City à Londres ?
Parce qu’aussi celle d’un marathon qui était prévu, reliant la France, la Suisse et l’Allemagne au départ de Saint-Louis : j’avais envisagé de m’y aligner. Mais la crise sanitaire, les mentalités consuméristes, les problématiques de logistique triplées avec une réglementation spécifique à chaque pays ont fait tomber à l’eau ce projet évènementiel ayant le Rhin comme fil directeur.
Navré pour les organisateurs et dommage, cela aurait pu être mon premier défi sur cet exigeant format “route”.
Ce dynamique territoire sera in fine celui d’une belle sortie Off en cet ensoleillé jeudi de l’Ascension.
Bref, même si le parcours sera tout autre, à la sauce mayonnaise maison (moins “roulane” et plus “nature”), le départ royal est donc tout trouvé : à la Croisée des Lys.
Au petit matin, direction Bâle, « au bout de la rue ».
Je passe devant la moderne église Notre Dame de la Paix.
Aux douanes, rien à déclarer !
Je n’ai que de l’eau mais à vrai dire elle s’avérera être une charge inutile vu les multiples fontaines qui orneront les secteurs urbains de mon périple helvétique. J’ai aussi un bifton de secours, mais difficile de l’utiliser au pays du Franc suisse et UBS est fermé pour le changer en ce jour férié ! La prochaine fois, je pourrai donc me présenter à oil-P (non ce n’est pas du carburant).
Les quelques premières centaines de mètres sont industrielles. Toutefois, elles propagent un ode aux ravitos lorsque je passe devant l’usine de la charcuterie Bell.
Ensuite, c’est un peu le miroir des rues de Saint-Louis, aux rails près du tramway qui pourraient me servir de guide à défaut de garder la ligne.
J’entre dans le centre-ville en bifurquant sur un joli parc, le St Johanns. Avec ses moutons stoïques.
Mais je ne les suivrai pas. Dans cet univers bestiaire, je pars en croisière en terre inconnue, à contre-courant comme le bateau prêt à quitter le quai !
Je rejoins l’une des portes de la ville, avant de faire un nouvel écart au pied de l’imposant Biozentrum universitaire.
Comme une allégorie, sur la place Totentanz, je tombe sur une sculpture d’Otto Charles Bänninger de 1962 : la divinité Janus.
Et ses 2 visages : l’un gamin. L’autre barbu et sage ! Affuté le gaillard.
Puis, à défaut d’être de jouvence, la fontaine du marché aux poissons est un nouveau point d’eau salvateur. Fischmarktbrunnen pour apprendre 3 nouveaux mots d’un coup d’un seul ! Danke schön.
Je cours devant le majestueux hôtel de ville rouge certifié sans M57, avant de zig-zaguer autour de la Freie Strasse.
Dommage, le « vendeur de pommes américaines» d’à côté est fermé. Il n’aura pas la primeur d’être tagué. La halte sera virtuelle !
« Un peu d’amour, pomme C , Un peu d’amour téléchargé […] Et c’est tout un programme » comme le chantait justement Calogero en 2007.
Faisons le Jobs, le premier point à l’ordre du jour est de gagner les rives du Rhin à pied, au pied de l’impressionnant pont de Wettstein et son gardien le basilic.
Quelques escaliers pour réveiller les quadriceps ou les faire tomber dans les filets des pêcheries qui s’y trouvent. On se croirait sur les plages de Saint Michel Chef Chef, mais ici c’est la station fluviale de Saint Alban. Pas le risque de s’en « sablé » sous le ponton.
Sur l’autre rive se dresse le building du groupe pharmaceutique Roche. Il est probablement blindé d’anti-inflammatoires comme le fort des Rousses doit l’être de comté.
Courir ou prendre des AINS, il faut choisir !
Alors je regrimpe quelques marches pour aller m’égarer, poursuivre mon œuvre et trouver le musée contemporain.
J’atteins un petit canal menant à en lire la carte jusqu’à un lac au sud de la ville. Il donne la touche bucolique de cet urban trail.
Je l’emprunte et l’empreinte sur quelques centaines de mètres.
Mon cœur palpite. Je reprends une artère principale, la Zürcherstrasse pour rattraper les rives par la résidentielle Schauenburgerstraße. Un faux ami pour les gourmets ! Et enfin atteindre le pont de la Forêt Noire.
Cerise sur le gâteau, je le franchis et essaye de continuer par la plage de galets qui s’estompent. Je suis nul en canoé pour pouvoir poursuivre. Je rebrousse donc chemin par un dédale de béton au pied du musée Tinguely.
Le sentier longeant le Rhin est semble-t-il interdit. Peut-être pour l’épanouissement des coquelicots. Je poursuis ainsi vers l’Est, essentiellement par la route jusqu’à la centrale hydroélectrique de Birsfelden.
Rien que le fait d’admirer la puissance du Rhin recharge les batteries.
Je file sur cette rive droite, petit (territoire) suisse bordé ainsi par le Rhin au sud, et cerclé par la frontière allemande. Je traverse un quartier construit autour de superbes potagers.
Si à 50 ans, on ne possède pas une maison ici, c’est qu’on a raté sa vie ! Ma Rolex, euh ma Garmin, m’indique 10 kilomètres révolus.
Me voici à la ville de Riehen, à un carrefour situé au pied d’un cimetière, le Hörnli-Gottesacker. Anecdotiquement le plus grand de Suisse. Je me dis que c’est peut-être un beau raccourci. Ses allées sont paisibles, plus verdoyantes les unes que les autres.
Mais c’est sans issue, la mauvaise direction. Je préfère ainsi retourner au départ sans attendre de tomber sur la tête de mort case 58.
S’en suit une virée dans une colline où se challengent les maisons d’architecte. La vue sur Bâle est magnifique. La pente se raidie à l’instar certainement du prix des baraques. J’opte pour un accès piéton les desservant. 100 mètres de dénivelé pris dans les pattes.
Je fais un détour par la Villa Wenkenhof construite au début du 20ème siècle et ses jardins remarquables qui me nargueront derrière les grilles. La grande statue de cheval leur fait face. Je galope de plus belle, avec à proximité des squares, prémices de beaux chemins de randonnées.
Je reprends la route jusqu’à Bettingen, quand soudain une sentier s’offre à moi avec ses marches taillées. Comme pour aller au plus court jusqu’au sommet par la forêt. Vers le point culminant du jour.
A nouveau quasiment 150 mètres de dénivelé positif qui permettent de bénéficier d’un panorama à 270° degrés sur les Alpes suisses.
Sankt Chrischona : altitude 500 environ, sa petite église, mais surtout son émetteur radio autoporté, en béton et haut de 250m.
Un colosse visible de très loin. Qui comme ses petites cousines les antennes du plateau de Malzéville lors de l’UTTN me fait perdre le sens de l’orientation !
Je vais entrer (relativement) en mode survie, juste de quoi mémoriser les grandes directions. Sans se perdre dans le labyrinthe et les agréés et divers jeux pour petits et grands enfants qui sont aménagés ici.
D’ailleurs, une fête se prépare ici, hélas je suis arrivé trop en avance. C’est désert mais les barnums sont montés, les tireuses à bière sont presque sous pression !
Allez une petite séance gainage en prime !
Un tour du propriétaire et regagnons Riehen pour perdre tout le dénivelé acquis. Les dés sont jetés, les sentiers sont très bien balisés. Je suis les pancartes Riehen Dorf.
En me retournant, l’émetteur ridiculise toujours les arbres et reste encore dans le champ de vision. Un banc me permet de le contempler et de me poser le temps d’avaler confortablement quelques parts de pizzas sortis de mon sac. Ce n’est pas une 4 fromages, mais une 3 pays !
Des morceaux plutôt secs, à l’opposé du terrain de jeu parfois un peu grassouillet. Ca permet de travailler mes appuis en Altra Torin pas vraiment propice à ce terrain de jeu. Cette paire de running est vieillissante mais inusable ! Et jouer dans des escaliers descendants, montants, re-descendants.
En exagérant à peine, je comptabilise aussi presque 1000 bornes…. Au sens propre ! Pas de doute, je suis sur la frontière : pied gauche en Suisse, pied droit en Allemagne.
Effectivement je parviens à une route à 2 pas du poste frontière Riehen / Inzlingen.
Un saut de puce en Allemagne et je replace mes 2 pieds en Suisse : je choppe très vite sur ma gauche un single me donnant accès à une route secondaire plus tranquille ; elle me ramene au centre de Riehen. Une zone animée, avec notamment une ligne de tramway reliant les 2 communes urbaines du canton de Bâle-Ville. Prudence, il s’agit de ne pas la suivre pour ne pas revenir sur Bâle.
Car le but est maintenant de franchir la frontière allemande et de rejoindre Weil am Rhein. Je fais donc demi-tour sur la Baselstrasse prise par erreur… Je suis aussi furieux que le taureau qui orne le trottoir. Le soleil tape à présent. Je me désaltère à la fontaine.
C’est le ressenti d’avoir aussi chaud que lors d’un rituel Aufguss !
J’abandonne la consultation des apps au profit du plan de ville pour économiser les ultimes pourcents de charge de batterie du téléphone. Avec un reste de lucidité, je snobe les enseignes mentionnant pour seul mot français « pâtisserie » !
Un large chemin sort de la ville pour m’amener sur les splendides bords aménagés de la Wiese, affluent du Rhin. Je la longe sur quelques centaines de mètres en contrebas de la promenade. Puis la traverse et entre en Allemagne.
Le circuit est jalonné de panneaux explicatifs faisant écho aux derniers kilomètres parcourus. Je passe ainsi devant une ferme typique comme celles que l’on peut trouver dans le Sundgau. Je parviens au « jardin des 3 pays » à proximité de Laguna Badeland. Toujours d’un pas économe, sans éclaboussure. Pas de splash, dommage si près des tobogans de ce complexe aquatique !
A Weil am Rhein, tout est qualifié de « DreiLänder » : le parc donc, le concessionnaire, le salon de coiffure mais aussi la boucherie…. et la passerelle au dessus du Rhin. Celle que je dois trouver. Celle qui me ramènera en France, à Huningue. Chose faite avec un petit cityrun en fractionné.
Côté français, le mobilier urbain est une invitation à chiller, ou mieux encore à faire une microsieste.
Je poursuis, par le parc des eaux vives. Plutôt cool comme installation nautique à l’embouchure du canal d’Huningue que je vais remonter en direction de la « petite camargue alsacienne ». Paradoxalement pas de bol (de riz) : l’eau est d’autant plus trouble que le bonhomme manque de clairvoyance et se prend le mur du 33ème kilomètre, à défaut de crise de la quarantaine.
Je me prends ainsi 30 secondes de plus au kilo et passe au dessus des 6 minutes au 1000. Plein dans le mille, à défaut de mil. Rejoignons la maison éclusière.
Mon idée initiale était d’aller encore plus au nord et d’atteindre l’auberge de la Péniche à Kembs, l’un des meilleurs postes de ravito du monde. Mais là j’aurais explosé le compteur kilométrique (et calorique… mummm ce légendaire nougat glacé).
Pour autant je ne mets pas le clignotant qui me ferait couper par Village-Neuf. Il y aurait en effet plus court en pratiquant l’école buissonnière.
Depuis le chemin de halage, je suis récompensé en pouvant accéder à un superbe poste observatoire. Le cadre est fabuleux. Hors du temps (note : j’y reviendrai en recup avec mon sparring-partner retraité).
Je quitte ensuite le canal direction Neweg. Je passe devant le stade de l’Au par la rue piétonnisée en ce jour. J’atterris alors sur le tarmac qu’est la route départementale D468.
J’oublie la rue de l’Aéroport face à moi qui m’amènerait dans d’autres cieux.
A droite, vigilance extrême : se dresse un leurre ! Un rondpoint avec une bretzel géante !
Pour ne pas tomber dans ce panneau alsacien, je pars ainsi à l’opposé par la Chaussée. Les zones commerciales, ses restaurants de chaîne se succèdent en périphérie de Saint-Louis. Pour ne pas faire le coup de la panne par hasard, je vais faire le plein dans la station Total.
Des soft drinks pour pouvoir remettre les gaz.
42km 195.
Me voici devant la gare ferroviaire de Saint-Louis.
En retard pour monter dans le train-train, pile à l’heure pour de nouveaux projets.